...des assassinats politiques
Nazim Bllaca a longtemps été un homme de l'ombre. Le voici à la "une" de tous les médias kosovars. Le 30 novembre, les policiers d'Eulex, la mission européenne déployée dans le pays, ont interpellé cet ancien membre de la guérilla albanaise (UCK, l'Armée de libération du Kosovo), âgé de 37 ans. La veille, il s'était livré à une confession retentissante devant les journalistes, un DVD à la main. Celui-ci contenait le recensement de 17 assassinats et tentatives d'assassinats politiques dans lesquels il aurait été impliqué, entre mi-1999 et 2003. Lui-même revendique une responsabilité directe dans l'un d'entre eux.
Placé en résidence surveillée, sans avocat car aucun ne souhaite le défendre, Nazim Bllaca a supplanté dans le débat public les audiences actuelles devant la Cour internationale de justice (CIJ), qui examine à la demande des Serbes, la légalité de la proclamation de l'indépendance, le 17 février 2008.
Nazim Bllaca affirme qu'il a commencé à travailler en juin 1999, à la fin de la guerre contre le régime de Slobodan Milosevic, pour le Service d'information du Kosovo (SHIK), l'agence de renseignement connue pour ses liens avec le Parti démocratique du Kosovo (PDK), la formation du premier ministre, Hashim Thaci, ancien chef politique de l'UCK. Avec plusieurs individus, il aurait participé aux assassinats de cadres du parti rival, la Ligue démocratique du Kosovo (LDK), d'Ibrahim Rugova, présentés par les commanditaires comme des collaborateurs des services serbes. Les autres victimes auraient été des témoins qui devaient comparaître devant le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, à La Haye.
Le plus troublant, dans le récit de l'ancien agent, est la somme de détails sur chaque mission et leur planification par sa hiérarchie directe, au SHIK, démantelé en 2008. "Je croyais que je travaillais pour l'intérêt national, qui devait nous guider, et le Kosovo entier, a expliqué Nazim Bllaca dans son DVD. Mais il est apparu que c'était le contraire."
Ce ne sont pas les remords qui ont conduit l'agent à interrompre cette collaboration sanglante. Il explique qu'un impayé de 220 000 euros l'a poussé à s'éloigner du service, puis à quitter le pays. En octobre 2007, il s'est réfugié avec sa famille en Croatie, avant de revenir à Pristina le 13 mai. C'est alors qu'il contacta Eulex, craignant pour sa vie. Fin octobre, il donna un cours irréversible à sa repentance en livrant le DVD aux enquêteurs européens, via un député, Gani Geci... lui-même accusé, à présent, de l'assassinat d'un commandant de l'UCK, en 1998, par la veuve de celui-ci.
Crimes de "l'après-guerre"
La mission Eulex, qui est censée intervenir en appui des policiers et des magistrats kosovars, a décidé de s'emparer seule de cette affaire. Une preuve de plus, près de deux ans après l'indépendance, que la souveraineté du pays demeure très incomplète. L'affaire éclate alors que doit avoir lieu, dimanche 13 décembre, le second tour des élections municipales, premier scrutin organisé par le Kosovo indépendant.
Le président, Fatmir Sejdiu, et le premier ministre, Hashim Thaci, ont publié un communiqué commun pour exprimer leur confiance dans les institutions kosovares et dans Eulex pour mettre au jour des "actes criminels de la période de l'après-guerre", sans être soumis à une "influence politique". Cet appel à une distinction totale entre l'enquête en cours et la campagne électorale témoigne de la fébrilité des responsables, conscients du potentiel explosif des révélations de l'ancien homme de main.
L'ancien premier ministre Ramush Haradinaj, président de l'Alliance pour l'avenir du Kosovo (AAK), principal opposant et ex-commandant de l'UCK, partage cette position. "Nous ne voulons pas transformer cette affaire judiciaire en affaire politique, explique-t-il par téléphone. Nous aurions aimé, bien sûr, que les magistrats kosovars soient aussi saisis, mais les juges internationaux ont l'expertise et l'expérience. On leur fait confiance."
La question des assassinats politiques dans le Kosovo de l'après-guerre, longtemps passée sous silence, se trouve pour la première fois sur la place publique. Les révélations risquent de se succéder, dans un grand déballage aux conséquences imprévisibles. "Enfin, les tabous se lèvent sur ces sales affaires de famille, ces assassinats dont beaucoup connaissaient l'existence, explique Jeta Xharra, directrice de la rédaction du Balkan Investigative Reporting Network (BIRN) au Kosovo. C'est le début d'un processus. Je ne suis pas prête à me taire, au nom de la stabilité que réclame la communauté internationale, contente tant qu'on ne tue pas de Serbes."
Piotr Smolar
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