Le premier anniversaire du Kosovo, unilatéralement déclaré indépendant de la Serbie suite au coup de force du 17 février 2008, a été dernièrement fêté dans les rues de Pristina et ailleurs dans quelques villes européennes et américaines par des foules brandissant des drapeaux albanais, européens et américains.
Ces oriflammes sont fort révélatrices du dessous des cartes. Ceux qui tirent les ficelles sont les Albanais dont nul n’ignore le rêve fou de reconstruire la Grande Albanie sur les cendres des Etats Balkans en miettes, quelques Etats européens qui manoeuvrent pour intégrer dans la zone d’influence de l’UE toute cette région névralgique toujours en convulsion et également les Etats-Unis. Avec la sécession du Kosovo qui abrite leur puissante base militaire de Bonsdstell située à proximité de chantiers de construction d’oléoducs, comme l’oléoduc transbalkanique qu’ils ont financé, les Américains s’assurent une source d’approvisionnement diversifiée en hydrocarbures provenant d’Asie centrale, dans le même temps qu’ils démantèlent l’espace prorusse et serbe par lequel transiteraient des pipelines concurrents.
Les intérêts en jeu dépassent de très loin ceux du Kosovo. Fatmi Sedju, son actuel président, et son Premier ministre Hashim Thaci se sont certes réjouis, en avril dernier, d’avoir, en une année d’indépendance, assis une nouvelle constitution, clos le processus de formation des principales institutions étatiques, développé de nouvelles forces de sécurité, atteint une stabilité globale et fait refleurir l’économie du pays.
Mais, la situation du Kosovo est bien moins reluisante qu’ils la présentent. Un expert, Alexis Troude, auteur du « Rapport 2008 sur le Kosovo-Métochie au Parlement européen », le dépeint sous les traits d’un Etat de non droit aux mains de personnes recherchées pour crimes de guerre et de la Mafia albanaise au cœur de la contrebande, du trafic de drogue et de la traite des femmes entre l’Europe de l’Est et de l’Ouest jusqu’aux Etats-Unis. Le recul de 45% des investissements extérieurs dans le pays s’expliquerait beaucoup plus par ces dérives que par les effets de la présente crise financière et économique mondiale. L’indépendance n’aurait absolument pas amélioré le sort de la population - 2 millions d’âmes - dont la moitié vit avec 1,5 euro par jour dans un contexte où 60% des actifs sont au chômage. Alors que les transferts d’argent de la diaspora, principal bras financier des familles et des petits commerces, risquent de tarir en raison de la récession mondiale. Et bien que le Kosovo se soit autoproclamé souverain et a même fait son entrée au HYPERLINK "http://lesechospedia.lesechos.fr/fmi.htm ?xtor=SEC-3167" \o "information sur le FMI" Fmi, c’est la Serbie, en tant qu’Etat unique, qui doit continuer à régler ses dettes envers l’étranger. Paradoxal.
Le Kosovo, tel qu’il est, n’est pas viable. Il survit hors de la Serbie parce qu’il est sous la perfusion et la coupe des Etats-Unis et des Etats européens qui l’ont reconnu et qui, au nom de leurs intérêts économiques et stratégiques, sont ses principaux alliés et défenseurs. C’est l’Etat d’Europe le plus aidé financièrement, pour les résultats insignifiants que l’on sait. Et plutôt que d’être réellement indépendant, il est passé de l’administration de la Mission des Nations Unies pour le Kosovo (Minuk) au protectorat américaino-européen sous la férule de la Mission européenne « État de droit » au Kosovo (Eulex) qui s’arroge les attributs et prérogatives d’un Etat souverain : le contrôle de ses frontières, l’application de la loi, etc.
En plus, sous tutelle ou sans, le Kosovo n’est pas en droit d’être indépendant, car c’est en violation de la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies qui proclame l’intégrité territoriale de la Serbie. Les Occidentaux qui ont entériné sa sédition sont également en porte-à-faux avec les accords d’Helsinki de 1975 renouvelés par la Charte de Paris de 1990 et qui constituaient, jusque-là, la base la plus solide de l’ordre européen rétabli à grand peine après les deux conflagrations mondiales. Ils reposaient sur les principes de l’inviolabilité des frontières issues de la Seconde Guerre et qui ne pouvaient être remises en cause que dans le cadre d’un processus démocratique, du respect des libertés et droits de l’homme et de la protection des minorités à l’intérieur des Etats existants.
L’Afrique est, certes, géographiquement loin des Balkans, mais très proche d’un point de vue géostratégique et économique. Nombre de pays sont en bute à des velléités et situations sécessionnistes sur le continent noir qui n’a aucune chance de sortir du sous-développement dans l’éclatement de ses frontières héritées de la colonisation, mais dans une dynamique volontaire d’unité et d’intégration souverainement acceptée par tous. C’est sans doute pourquoi, excepté les Etats qui l’ont fait dans des circonstances particulières et au nom de l’appartenance à une même communauté religieuse, rares sont les Etats africains à avoir reconnu le Kosovo. Et cela nonobstant certaines incitations dont les efforts déployés par l’homme d’affaire et politicien Behxhet Pacolli, le « Bill Gates du Kosovo », pour convaincre des dirigeants africains, mais également arabes, asiatiques et latino-américains de reconnaître l’indépendance de sa province.
Au total, 58 Etats seulement sur les 192 membres des Nations Unies ont franchi le Rubicon. Ils ne sont donc pas en nombre suffisant pour faire le printemps du Kosovo, parce que son exemple n’est pas à suivre.
La déclaration unilatérale d’indépendance de cette province serbe n’a fait que déstabiliser davantage la région qui demeure la plus fragmentée d’Europe et influer directement sur les événements en Ossétie du Sud. C’est, encore une fois, l’ouverture d’une boîte de Pandore qui risque de servir de faire-valoir à tous les irrédentismes du reste du monde. L’alternative est dans le resserrement des liens historiques entre les peuples des Balkans, dans le cadre intégré de démocraties politiques et économiques respectueuses de la dignité et des droits de chaque peuple, en rupture avec le dépeçage et les remodelages territoriaux au bénéfice d’intérêts mafieux et exogènes qui prévalent encore.
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